L'auteure mélange les différents temps pour construire très finement l'organisation temporelle de l'histoire mais aussi pour varier le rythme du récit, exprimer les sentiments des personnages, donner des explications... Elle mobilise différentes valeurs du présent par exemple. Magistral !
La mise en texte
La mise en texte
Pourquoi s'intéresser à la mise en texte de l'album ?
D'après Cécile Boulaire, Lire et choisir ses albums
Les albums permettent aux enfants d'entrer dans la langue du récit. Cette langue " se différencie des manières du quotidien, qui font un grand usage du présent et de l'impératif et recourent beaucoup au présentatif et au déictique imprécis mais compréhensibles en contexte ("C'est par là", "Tiens, prends ça", "Regarde, ici !". Dans la langue du récit, en revanche on structure bien l'espace (...)." Elle "organise aussi le temps d'une manière plus précise et plus variée que les échanges ordinaires du quotidien. (...) Les premières formulettes, suivis par les premiers récits, introduisent l'enfant à cet usage de la langue plus structuré que les échanges du quotidien."
"Il y a, dans la langue, mille manières de dire une seule et même chose, et chacune de ces manières produit un effet différent sur celui qui entend. En même temps que l'image et le feuilletage emportent le petit lecteur dans un monde de rythme, la langue utilisée dans le texte de l'album ouvre sa sensibilité, caresse son oreille, titille son intelligence, prend ses attentes à contre-pied, le surprend et l'enrichit."
" Moi, bêtement, je pensais qu'on écrirait des articles sur mes livres. Genre, on aime, on aime pas, c'est bien écrit, bof, bref des critiques littéraires, quoi ! (...) Et là, je tombe des nues : un résumé, l'âge, le thème du livre et une ligne de "critique" genre "livre sympa sur la tolérance et le vivre-ensemble"... Et merde ! (...) Pas un mot sur le style, mais les thèmes abordés écrits en gros... comme si en littérature jeunesse, le thème était plus important que le style..." (Vincent Cuvellier, Je ne suis pas un auteur jeunesse, Giboulées, 2017, p. 65)
En général, "nous sommes trop peu attentifs à l'écriture, à la qualité stylistique d'un livre pour enfants. C'est pourtant ce qui va faire entrer le jeune enfant en littérature, bien plus encore que l'histoire racontée qui n'est que le produit de cette écriture."
"La mise en texte concerne les choix de textualisation : lexique, syntaxe, rhétorique, stylistique..." (Y. Reuter, L'analyse du récit)
Et si la littérature, c'était créer une atmosphère...
"La littérature, ce n'est pas mettre des mots bout-à-bout pour "traiter un thème", c'est inventer avec des mots un rythme capable de créer, chez le lecteur, une atmosphère singulière qui imprègnera tout ce que ces mots évoquent. Si l'état d'âme créé par ces mots est mélancolique, je trouverai mélancolique tout ce qui est raconté dans ce livre, l'histoire d'une chaise aussi bien que celle d'une amitié. Si l'atmosphère qui se dégage du texte est lumineuse, ou burlesque, ou angoissante, alors elle rendra lumineux ou burlesques, ou angoissants tous les sujets évoqués dans le livre." (Boulaire)
Jojo la Mache et Il faut le dire aux abeilles, s'ils évoquent tous les deux le thème de la mort, sont surtout intéressants parce qu'ils "ne donnent pas une leçon à l'enfant : ils créent pour leur petit lecteur une tonalité à partir de laquelle ils seront libres de construire leur interprétation, et d'ouvrir le dialogue, s'ils le souhaitent, avec des adultes qui les entourent."
C'est écrit là-haut et Comme mon père me l'a appris traitent de la question de la liberté dont dispose un enfant à l'égard de ce qui lui est transmis par ses parents mais ils diffèrent par leur forme !
"Lire un album avec un enfant, c'est créer autour de soi un climat singulier, né de ces mots prononcés à haute voix. En oralisant les textes, en prêtant notre voix aux poètes qui les ont écrits, nous leur donnons vie, et nous faisons exister cette atmosphère que leurs auteurs ont cherché à créer."
Les mots
Des mots bien choisis amènent le lecteur à voir, entendre, sentir, goûter ,toucher, en un mot, à vivre le monde de l’auteur. » (Spandel ,2005 cité par Saada et Fortin, 2010)
Quelques questions que le lecteur peut se poser :
- Y a-t-il une volonté de respecter la langue écrite ou au contraire une tentative de mimer l'oral ?
- les mots utilisés sont-ils rares ou au contraire courants, concrets ou abstraits,
- Peut-on repérer un champ lexical (ensemble des mots utilisés dans un texte pour caractériser une notion, un objet, une personne...) ?
- Quel est le registre de langue adopté ? familier, soutenu, enfantin...
Les ouvrages de Corentin sont très intéressants parce que la langue choisie sert son propos.
Quand les auteurs réinventent la langue...
Le rythme
Comme dans la musique, le rythme se ressent dans la langue écrite et plus encore lorsque celle-ci est mise en voix
Le rythme au sein de la phrase
Il existe plusieurs façons de varier le rythme d'une phrase. En voici deux : l'accumulation, le rythme binaire.
Le rythme accumulatif se caractérise par une série de mots ou de propositions qui se succèdent dans la phrase. L’effet obtenu en est l'amplification comme démontré dans les exemples ci-dessous.
Le rythme binaire vise quant à lui à établir un parallèle ou bien une opposition entre deux idées. Dans ce cas, la phrase contient deux segments de même longueur, avec la même construction.
Le rythme au sein de la page
Au sein de la page, c’est principalement la variété dans la longueur des phrases qui participe au rythme. Les phrases courtes produisent un rythme rapide ou saccadé, propice à l’expression d’émotions vives ou troubles, d’actions brusques, d’événements soudains, etc. Les phrases longues et fluides créent un rythme lent, qui permet l’expression de la réflexion approfondie, de l’observation détaillée, de la rêverie, de sentiments d’ennui, etc. (Gagnon, Perrault, Maisonneuve, 2007, p.63). Dans les albums, l’alternance entre des phrases longues et des phrases courtes s’observe fréquemment.
Le rythme au sein de l'album
Au sein de l’album, lorsqu’on considère simultanément l’ensemble des pages, le rythme, c’est encore autre chose. Il se ressent principalement dans le choix de la structure et des répétitions qui l’habitent. La structure répétitive, si souvent présente dans les albums, est un bon exemple de l’effet rythmique produit par la structure.
L’effet peut être humoristique, avec la répétition d’une même phrase scandée par exemple par un personnage. L’effet peut aussi être dramatique, c’est le cas dans Tu me prends en photo. Cela dépend en fait du sens de ces phrases et de l'album dans son ensemble.
Figures de style
Les figures de style ne sont pas réservées aux adultes... L'intérêt n'est pas tant de les repérer que de percevoir l'effet produit et d'en rechercher les causes dans la langue elle-même. Il n'est pas utile en premier degré de faire apprendre aux élèves ces termes. Il s'agit de les sensibiliser à l'esthétique de la langue.
Au niveau de la phrase
Les figures de style les plus utilisées dans la littérature jeunesse sont sans doute
Mais on peut citer aussi
l'hyperbole,
l'euphémisme.
L'organisation des temps verbaux
L'organisation des temps verbaux est très diversifiée et étroitement liée aux effets recherchés.
Quand les comptines initient les plus jeunes aux temps verbaux
Tuons le coq nous initie aux conséquences de nos actes, par l'usage du futur
"Tuons le coq, tuons le coq
Il ne dira plus "cocodi, cocoda", il ne dira pllus "cocoda rico""
La p'tite hirondelle ajoute un lien entre recherches de causes et actions en conséquence, en s'appuyant sur l'usage du passé composé et du futur :
"Qu'est-ce qu'elle nous a fait, la p'tite hirondelle ?
Elle nous a volé trois p'tits sacs de blé.
Nous la rattraperons, la p'tite hirondelle.
Et nous lui donnerons trois p'tits coups d'bâton."
Le refrain du jeu chanté Promenons-nous dans les bois introduit, lui, l'usage du conditionnel pour formuler une hypothèse et ses conséquences :
"Promenons-nous dans les bois
Pendant que le loup n'y est pas
Si le loup y était, il nous mangerait
Mais comme il n'y est pas, il nous mangera pas."
A propos de l'imparfait et du passé simple
" Le passé simple est fréquemment employé pour les événements principaux de l'histoire, ceux qui font progresser l'action, ceux sur lesquels on fait porter l'éclairage. (...) les verbes au passé simple constituent en quelque sorte le premier plan, le "squelette de l'action". Ils se détachent ainsi de l'arrière-plan, constitué par les propositions comprenant un verbe à l'imparfait, qui participent de la compréhension mais ne font pas, véritablement, avancer l'histoire." (Reuter)
Les choix typographiques
Les textes peuvent comporter un caractère iconique lorsqu'ils tentent de rendre compte, visuellement, de leur signifié. On observe fréquemment dans les albums des effets au niveau du texte qui portent sur la forme et la taille des caractères mais aussi leur disposition sur la page. (Van der Linden)
Quelques questions suggérées par Cécile Boulaire
- à propos des caractères : "sont-ils très classiques, avec des pleins et des déliés (caractères à empattement), comme dans les romans ou les journaux ? sont-ils plus raides, réguliers dans leur épaisseur (on parle de caractères "bâtons"), plutôt comme sur les affiches ?"
- à propos du "bloc" typographique : quelle est sa forme ? "Dans un roman, le bloc typographique forme toujours un rectangle : le texte est fermement aligné à gauche comme en bout de ligne à droite (texte "justifié"). (...) Lorsque le pavé typographique est plus réduit, les éditeurs choisissent souvent de ne l'aligner que d'un côté" ou de le centrer.
Les variations typographiques, la répartition du texte et de l'image sur l'espace de la page sont pensées pour faciliter et dynamiser l'oralisation du texte. (Boulaire)
Dans les albums s'appuyant sur les formes de l'oralité enfantine, les jeux sur la typographie miment et guident la prosodie : le changement de taille équivaut au changement de volume, le changement de couleur mime le changement d'expression sonore, la modification de la disposition originale signale une chute... (Boulaire)
Quelques ouvrages intéressants pour leur écriture
Une sélection d'ouvrages sur l'expérience migratoire :
les choix stylistiques donnent une coloration différente !